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Porter la Croix à l’ère du Spectacle : Réflexion sur la sainteté dans le monde contemporain

Nous vivons une époque étrange, un siècle qui se pare des habits de la modernité, de la science, du progrès, mais qui semble avoir oublié l’essentiel : le sens du sacré, le poids de la foi, la valeur de l’exemple silencieux et douloureux des saints. Dans ce monde du 21e siècle, admirer un grand saint n’est plus vu comme une élévation de l’âme, mais presque comme une offense faite à la foi. Non pas parce que le saint n’est pas digne d’admiration, mais parce que notre regard, notre culture, notre rapport au réel ont été pervertis.
Désormais, l’admiration du monde va aux pop stars, aux influenceurs, aux vedettes éphémères de la télé-réalité. Le succès se mesure en abonnés, en likes, en apparitions médiatiques. La profondeur a été remplacée par la visibilité, l’authenticité par le spectacle. L’homme de foi, l’âme consacrée, celui ou celle qui se retire du monde pour mieux en porter les douleurs, devient invisible, inaudible, insignifiant aux yeux de notre société hyperconnectée.
Mais les saints, les vrais saints, ne cherchent pas à être admirés. Ils ne se mettent pas en scène. Ils ne demandent pas de reconnaissance. Un élu de Dieu est une plaie à vif, incicatrisable. Il est, de par sa vocation même, appelé à porter une part du mystère de la Croix. Il a été choisi depuis les temps anciens pour subir toutes sortes de souffrances. Non par fatalisme, non par goût du martyre, mais pour témoigner. Pour obéir. Pour faire vivre l’espérance dans un monde qui en manque cruellement.
Comme l’écrivait le prophète Isaïe au sujet du Serviteur souffrant :
« Méprisé et abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance » (Isaïe 53, 3).
Ce verset antique trouve en chaque saint une résonance vive, une actualité brûlante. Car le saint ne fuit pas la souffrance. Il l’accueille sans jamais la désirer. Il sait qu’en elle se cache un mystère, une fécondité invisible.
Saint Jean de la Croix nous rappelle avec clarté :
« Pour aller où tu ne sais pas, tu dois passer par où tu ne sais pas ».
Et c’est dans cette obscurité, dans cette nuit de la foi, que le saint avance, non en héros, mais en serviteur.
Admirer un grand saint, dans ce contexte, devient ambigu. Celui qui admire le saint sans volonté de conversion, sans désir de ressembler à ce qu’il contemple, est un voyeur spirituel. Il se contente d’un regard extérieur, ému peut-être, mais stérile. Il applaudit le saint comme on applaudit un acteur talentueux, en restant au bord du chemin. Mais le saint n’est pas là pour être applaudi. Il n’est pas un héros à idolâtrer, mais un frère à suivre, un guide vers Celui qui seul est digne d’adoration.
Saint Augustin avertissait déjà ceux qui confondaient contemplation et imitation :
« Ne te contente pas d’admirer les saints, imite-les ! »
Car le témoignage des saints n’a de sens que s’il conduit à une transformation intérieure.
Celui qui, au contraire, compatit sincèrement et humblement, celui qui pleure en silence devant la grandeur cachée d’une vie offerte, celui-là est sur le chemin. Il commence à comprendre. Il sait que suivre le Christ, c’est aussi, tôt ou tard, prendre sa Croix. Il ne s’en étonne pas. Il ne s’en plaint pas. Il marche, avec tremblement, mais avec foi.
Ne soyons pas de ceux qui applaudissent sur le bord du chemin. Ne soyons pas des spectateurs de la foi. Il est facile de commenter, d’analyser, de débattre, confortablement installés dans nos certitudes ou nos fauteuils modernes. Mais le Christ n’a pas appelé des analystes : il a appelé des disciples. Des hommes et des femmes capables de tout quitter, de tout perdre, pour la vérité de l’Évangile. Il a appelé chacun à porter sa croix. Pas celle du voisin. La sienne.
Le livre des Lamentations nous avertit avec force :
« Vous tous qui passez par le chemin, regardez et voyez s’il est une douleur pareille à la douleur qui me tourmente » (Lamentations 1, 12).
Cette plainte, qui fut aussi celle du Christ, pourrait être celle de tous les saints. Elle est aussi un appel à ne pas détourner les yeux, à entrer dans la compassion active.
Porter sa croix, cela ne signifie pas rechercher la souffrance ou s’enfermer dans un dolorisme morbide. Cela signifie vivre en vérité, jusqu’au bout, ce que Dieu nous confie. Accepter les combats, les renoncements, les solitudes, les incompréhensions. Choisir l’amour, même quand il coûte. Prier, même quand Dieu se tait. Rester debout, même quand tout s’effondre. Et surtout, ne jamais cesser d’espérer.
Sainte Thérèse d’Avila écrivait avec humour et lucidité :
« Que Dieu me garde de ces saints tristes ! »
Car la sainteté, même dans la douleur, est habitée par une joie profonde : celle de savoir que notre vie a un sens éternel.
Le monde n’a pas besoin de nouveaux idoles. Il a besoin de témoins. De vies données. De présences silencieuses qui tiennent bon. De priants cachés qui intercèdent dans l’ombre. D’âmes brûlées par le feu de l’amour divin. Il a besoin de saints, non pas parfaits, mais habités.
Alors que faire, nous qui sommes encore sur la route, fragiles, pécheurs, parfois tièdes ? Refusons la tentation de l’admiration creuse. Osons la conversion. Que l’exemple des saints nous pousse non pas à les applaudir, mais à nous engager. Non pas à les contempler de loin, mais à marcher à leur suite. Avec nos faibles moyens. Avec notre propre croix.
Le prophète Michée posait déjà cette question essentielle :
« Et que demande de toi le Seigneur, sinon que tu pratiques la justice, que tu aimes la miséricorde et que tu marches humblement avec ton Dieu ? » (Michée 6, 8)
Car le chemin du salut n’est pas réservé à une élite spirituelle. Il est ouvert à tous. À ceux qui tombent et se relèvent. À ceux qui doutent mais avancent. À ceux qui n’ont rien à offrir que leur pauvreté, mais qui la donnent tout entière.
Alors, oui, portons notre croix ! Non comme un fardeau imposé, mais comme un mystère choisi. Non comme une punition, mais comme une promesse. Celle que, dans la nuit même, une lumière est possible. Celle que, dans la douleur, une vie peut naître. Celle que, sur le bois de la croix, l’amour a triomphé.