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Marche, rencontre Dieu.
Je sors d’un commissariat parisien. Injustement arrêté, injustement traité, victime d’humiliations et de coups alors que j’étais menotté. À un moment où ma fille ne voulait plus me voir, où je souffrais encore de la séparation avec sa mère, et où mon ami et associé en affaires s’apprêtait manifestement à me trahir.
Je marche vers mon appartement, mais je suis trop agité, trop triste, trop en colère. Alors je passe devant sans m’arrêter. Je traverse Paris. Je continue à marcher encore. Je quitte la ville.
Avant de m’engager dans la forêt, j’entre dans une église ouverte. Sans savoir pourquoi, et pour la première fois, je prie Jésus. Je lui demande de protéger ma fille d’abord. Puis je lui demande de veiller sur mon chemin, qui va s’engager dans cette forêt en pleine nuit.
Au fur et à mesure de ma marche, mon cœur s’apaise. Le rythme de mes pensées diminue. Je dors à même le sol. Nous sommes en août 2024 mais les nuits sont fraîches pour mes vêtements de ville. Je me surprends à être étrangement à l’aise dans cette forêt.
Le lendemain matin, la faim me tenaille. Au premier village, je me rends compte que c’est le week-end du 15 août. Rien d’ouvert durant les trois prochains jours. Je n’ai rien. Pas d’argent, pas de réseau, pas de plan. Mais je continue.
Et voilà que quelqu’un m’offre du pain. Puis un autre me parle, partage son histoire. Je découvre que je suis sur le chemin de Peggy. Des gens semblent sortir des buissons pour me nourrir et partager leurs expériences de vie.
La Providence. Une Providence qui se répète encore et encore. À force de recevoir sans demander, je prononce cette phrase à haute voix :
— Je te reconnais. Tu es là pour moi.
Et j’entends en réponse, en moi, une phrase qui allait changer ma vie :
— N’ai-je pas toujours été là pour toi ?
Et soudain tout s’éclaire. Le parcours miraculeux et inexplicable de ma vie. Les mains tendues au bon moment, le travail rêvé tombé du ciel, ces instants où je ne faisais d’autre effort que de rêver, et tout se réalisait. Chaque fois que je levais les yeux vers le ciel pour demander, j’étais exaucé.
Je me mets à pleurer. Je comprends brutalement que j’avais été si ingrat envers un Dieu si bon. Un Dieu qui m’avait toujours aimé, alors que moi, je ne l’étais pas. Je n’étais pas bon. Pas juste. Et pourtant aimé.
Et cet amour… c’est un amour unique. L’amour que je cherchais sans le connaître. Un amour que je reçois et que je donne, et c’est comme si j’étais devenu l’amour lui-même. Enveloppant. D’une vérité absolue. Indiscutable.
Je continue à marcher. Chaque jour. Sans savoir où je vais, mais je sais que je suis guidé. Je suis nourri. Accompagné. Je vis l’Évangile sans l’avoir étudié. Je découvre les paroles du Christ en les vivant :
“Ne vous inquiétez pas du lendemain… Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par-dessus.” — Matthieu 6:33
Je suis dans le manque mais jamais dans le besoin. Et chaque fois que je doute, une réponse vient. Chaque fois que j’ai faim, une main me tend quelque chose. Chaque fois que j’ai froid, un abri surgit. Et à chaque fois, je reconnais cette voix silencieuse en moi :
— N’ai-je pas toujours été là pour toi ?
Et je réponds :
— Oui. Tu as toujours été là.
Et je continue. Je continue parce que je ne peux plus m’arrêter. Ma marche est prière. Ma fatigue est offrande. Mon silence est louange. Je ne demande plus rien. Je rends grâce. Je suis libre. Je suis en paix.
Je découvre la beauté du monde, et la beauté de l’âme humaine. Ceux qu’on appelle fous ou marginaux me parlent avec sagesse. Ceux qui ont tout perdu me donnent l’essentiel. Et plus je perds, plus je reçois. Plus je lâche, plus je suis rempli.
Je ne sais pas où je vais, mais je sais que je suis en route. Et chaque jour, je découvre que cette route, c’est Lui.
Je continuai à marcher, mais je n’étais plus le même homme. Quelque chose avait changé. Mon cœur battait différemment. J’étais habité, comme éclairé de l’intérieur. Ce n’était pas une euphorie, ni une excitation fugace. C’était une paix solide, enracinée. Une certitude : je n’étais plus seul, et je ne l’avais jamais été.
Ce jour-là, mes pas m’amenèrent à un petit sanctuaire à moitié en ruines. L’endroit semblait oublié du monde, enfoui dans la mousse et les arbres. Une croix de bois, noircie par le temps, reposait de travers sur une pierre. Je m’y suis assis, sans réfléchir. J’ai fermé les yeux.
Et j’ai simplement dit : — Me voici.
Aucune autre prière. Aucun besoin. Aucun désir. J’étais là, disponible. Et dans cette simplicité, je compris que j’étais enfin prêt à vivre. Pas à fuir. Pas à réussir. Juste à vivre.
Plus je m’abandonnais, plus la vie m’accueillait. Les hasards devenaient des rencontres. Les rencontres devenaient des révélations. À chaque fois que je croyais ne plus avoir de quoi manger, quelqu’un apparaissait. À chaque fois que je doutais, une parole, une chanson, une lumière dans les arbres venait me rappeler que j’étais sur le bon chemin.
“Ne vous inquiétez de rien ; mais en toute chose faites connaître vos besoins à Dieu… et la paix de Dieu gardera vos cœurs.” — Philippiens 4:6-7
Un jour, dans une auberge de campagne, un homme m’offrit le couvert et le gîte. Nous parlâmes longtemps. Il me raconta sa vie, ses blessures, ses errances. Puis il me regarda intensément, les yeux brillants :
— Ce que tu vis, dit-il, c’est le désert. Mais un désert habité. Là où Dieu parle au cœur. Là où tu découvres qui tu es, sans masque.
Je hochai la tête. Je savais qu’il avait raison.
Dans les jours qui suivirent, je me suis surpris à chanter en marchant. Pas fort, pas pour être entendu. Juste pour accompagner mes pas. Ce n’étaient pas des chansons connues. C’étaient des mots qui sortaient, simplement, comme des prières sans forme. Ma voix résonnait entre les arbres, et je me sentais proche de tout : des pierres, du vent, du ciel.
Un matin, au bord d’un lac, je me suis mis à genoux. Pas pour demander. Pas pour supplier. Mais pour dire merci.
— Merci pour la forêt. Pour le silence. Pour la lumière dans les feuilles. Pour les rencontres. Pour cette paix. Merci pour l’amour.
Et à ce moment-là, une voix intérieure me murmura :
— Ce que tu vis maintenant, c’est le Royaume. Il n’est pas loin. Il est en toi.
“Le royaume de Dieu est au milieu de vous.” — Luc 17:21
Je ne savais pas où allait cette marche, ni quand elle s’arrêterait. Mais je n’étais plus inquiet. Je savais que tout m’était donné. Non pas parce que je le méritais, mais parce que l’Amour est don par nature.
Un soir, un enfant m’a tendu un dessin. Il ne me connaissait pas. Mais il avait dessiné un chemin qui montait vers un soleil, et un personnage minuscule en train de grimper. Il me dit :
— C’est toi. C’est pour toi.
Je l’ai regardé, bouleversé. Dans les choses les plus simples, les signes étaient partout.
Je dormais dans les champs, parfois sous les étoiles, parfois dans des cabanes abandonnées. Je n’avais plus peur des bruits de la nuit. Je n’avais plus peur de moi. Je ne cherchais plus à remplir un vide, parce que ce vide était devenu plein. Je n’étais plus en manque. J’étais comblé. Et pourtant, je ne possédais rien.
“Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux.” — Matthieu 5:3
Un jour, en traversant un village, je suis entré dans une petite chapelle. Personne. Que le silence et la poussière. Et pourtant, j’ai senti une Présence. Elle ne disait rien, elle ne forçait rien. Mais elle remplissait tout.
Je me suis allongé au sol. Les bras en croix. Et j’ai pleuré. Pas de douleur. Des larmes de reconnaissance. Des larmes d’amour.
Et cette voix, encore, qui m’a traversé comme une lumière :
— Tu es mon fils. Tu es aimé. Depuis toujours.
Cette phrase m’a guéri. Elle a comblé tous les manques. Elle a lavé toutes les blessures. Elle a redonné sens à tout mon passé.
Depuis ce jour, j’ai compris que je n’avais jamais marché seul. Que chaque pas, chaque chute, chaque détour, était accompagné.
La Providence m’accompagnait, encore et encore. C’était comme un ballet invisible qui se répétait : les dons arrivaient juste avant que le besoin devienne urgence. Une main, une parole, un sourire. Un sandwich offert, un toit trouvé au dernier moment, une amitié née en une minute.
Et chaque fois que je croyais que c’était trop beau, trop facile, trop miraculeux, cette même voix revenait :
— N’ai-je pas toujours été là pour toi ?
Et chaque fois, je ressentais ce même amour, unique, enveloppant. L’amour que je cherchais sans le connaître. Un amour que je recevais et que je donnais, comme si j’étais devenu l’amour lui-même. Un amour d’une vérité absolue. Indiscutable. Immense.
Je compris enfin ce que signifiait “être né de nouveau”. Ce n’était pas changer de religion. C’était laisser tomber l’ancien moi — l’orgueilleux, le blessé, le méfiant — et renaître comme un enfant, vulnérable et confiant.
“Si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle créature. Les choses anciennes sont passées ; voici, toutes choses sont devenues nouvelles.” — 2 Corinthiens 5:17
Je ne savais pas encore où cette marche allait me conduire. Mais je savais ceci : je n’avais plus besoin de tout comprendre. Je n’étais plus en quête de réponses. J’étais en marche avec la Réponse.
Et peut-être que c’est ça, la foi : ne plus chercher à prouver, mais à aimer. Aimer simplement, puissamment, silencieusement.
Un jour, je me suis assis au bord d’une route, et j’ai regardé passer les voitures. Les gens avaient l’air pressé. Le regard tendu vers une destination invisible. Et je me suis dit : — Moi, je n’ai plus besoin d’aller quelque part. J’ai juste besoin d’être là.
Et c’est ce que j’ai fait.
Je suis resté là, au bord du monde, et j’ai aimé.