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L’errance sur le Camino: Un Voyage Spirituel

J’étais passé du Camino Del Norte au Camino Frances pour rendre visite à une famille catholique franco-espagnole. Elle m’avait déjà accueilli dans la partie française de mon chemin. Je les avais rencontré à la sortie d’une messe à Veignié au sud de Tours. Ils m’avaient gentiment invité à déjeuner. Quand cette famille me dit qu’elle est en vacances sur le chemin espagnol, dans la ville de Logroño. Je suis alors à Guernica, convaincu qu’il n’y a qu’un seul chemin de Compostelle. J’étais en Espagne depuis un mois et je ne connaissais toujours rien des chemins de Compostelle. Quand je me rends compte de mon erreur et de la centaine de kilomètres qui nous séparent, je décide tout de même de faire un détour vers le sud et qui me ramènera un peu en arrière. Le premier d’une longue série de détours.
Quand j’arrive à Logroño, je suis épuisé par trois mois de marche dont deux dans La très sainte pauvreté. Près de Bordeaux, j’ai abandonné tout mon matériel ultra léger qui m’avait couté une fortune et qui rassemblé dans mon sac, pesait le poids d’un âne mort. Depuis 60 jours, je dormais à même le sol et je faisais la quête pour manger. Parfois des locaux m’hébergeaient, à d’autre moments des pèlerins m’offraient une nuit d’auberge. Fini le look trekkeur, j’avais l’air d’un touriste qui aurait perdu ses bagages depuis très longtemps. J’avais un seul pantalon, une chemise avec des palmiers et une veste Millet, le seul vêtement du départ que je possède encore aujourd’hui. Une veste qui ne m’aura jamais lâché et qui, hélas, ne protège ni du froid, ni du vent et n’est pas même étanche.
Je ne me souviens plus par quelle heureuse providence j’ai les moyens de m’offrir une nuit d’auberge et de faire quelques courses alimentaires mais ce repos arrivait à point nommé. Ma dégaine fait vivre un doute sur ma qualité de pèlerin et qu’on s’inquiète d’avantage de la possibilité d’un sdf qui a vu de la lumière et qui tape l’incruste dans cette auberge. Souvent je vais en avoir un peu avoir honte avant de devoir me surveiller afin de ne pas en faire un objet d’orgueil.
J’avais pris l’habitude de me lever vers 5h. C’était déjà le cas dans ma vie de cadre parisien mais quand on dort dans la rue la question d’une grasse matinée ne se pose plus. La terre appartient aux sdf qui se lèvent tôt et ce n’est là ni un bon mot ni une formule et encore moins une vue de l’esprit. Ce sentiment puissant est vivant. C’est également l’heure des audiences particulières avec le Roi de l’univers. Je n’ai pas le talent de vous partager le surnaturel de l’expérience, Dieu ma seulement donné le don d’essayer.
Après avoir accueilli les morsures du chien de la nuit froide et de les rendre au Seigneur, nous ouvrons les yeux sur un monde semblable en tout point à celui qui nous a vu nous endormir. Semblable seulement. Un monde fait de tous les mondes possibles. Un voie sur laquelle s’affiche toutes les voies possibles. Des voies qui vous conduisent invariablement à vivre cet instant. Un rendez-vous prévu de tout temps. Une maison où la destiné et le libre arbitre vivent en évidence.

J’étais dans un fauteuil du hall de l’auberge, à coté de deux jeunes allemands qui bouclaient leurs sacs pour marcher quelques heures dans la fraicheur du petit matin, avant que l’accablant soleil espagnol ne vienne peser sur les épaules. Nous nous saluons d’un signe de la tête quand ils s’en vont. Quelques minutes plus tard l’un deux revient dans l’auberge. Un grand gaillard de 1,80m, crane rasé, il fonce vers moi, me sourit et me sert la main. Je sens qu’il glisse quelque chose à l’intérieur. Secrètement j’espère que ce n’est pas un billet. Je n’ai pas honte d’être regardé comme un mendiant mais même nous on à des horaires d’ouvertures. J’attends qu’il soit parti pour regarder. C’est une serviette en papier où il a écrit au stylo : Isaïe 6:8. Je tape ces mots sur google et je lis :
J’entendis alors la voix du Seigneur qui disait : « Qui enverrai-je ? qui sera notre messager ? » Et j’ai répondu : « Me voici : envoie-moi ! »
A Bordeaux j’ai aussi abandonné Kafka et quelques Stoïciens que j’ai remplacé par les Evangiles et les Fiorretti de Saint François d’Assise. A Saint Jean de Luz ma bibliothèque que je transporte à bout de bras s’est étoffée du livre bleu de Saint Ignace. Je n’ai plus de 4g depuis Tours. Je me connecte au wifi des lieux publics pour donner des nouvelles par whatsapp mais je n’ai plus l’opportunité d’aucun divertissement. Ces lectures sont pour moi comme un puzzle qui au fur et à mesure de son édification me raconte ce que je fais et pourquoi je suis parti.
Ce passage du livre d’Isaïe, cette lumière douce dans le bleu de l’aurore, me donne pour la première fois une idée globale de ce puzzle. Il manque encore tant de pièces mais j’ai déjà l’intuition que le tableau final importe peu sur cette terre. Ici bas, le chemin est la destination. Ce tableau semble impliquer des notions qui ne peuvent que me rendre humble quant à mes capacités intellectuelles.
Ce jeune allemand m’avait reconnu, guidé par l’Esprit Saint, il me donnait à boire de cette eau vive, à moi qui ai si soif. Depuis mon départ, depuis cette décision radicale, pour la première fois de ma vie je me sens chez moi. Il fallait que j’erre en ce monde pour que mon errance prenne fin. C’est quand je pars que j’arrive. Et quand j’arrive, je suis parti. Il n’y a que quand je marche que je suis à la maison.
Pour la premier fois de ma vie, je vie en certitude. Je ne suis jamais en retard, jamais en avance, toujours exactement à l’heure de tous les rendez-vous. J’ai entendu moi aussi, en Aout 2023. Une phrase très courte et très simple. Une phrase à laquelle j’ai choisi de répondre “Me voici”. Une étincelle qui allait se transformer en feu de forêt. J’en parlerais ici une autre fois, peut-être.