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Il y a un an, j’ai quitté le monde.

Je ne parle pas d’un départ physique, mais d’un arrachement de l’âme. Je me suis retiré du vacarme, du tumulte, des faux-semblants. J’ai quitté le « game ». D’ailleurs, je ne joue plus. Je marche. Et j’obéis.
Je marche dans un Royaume invisible aux yeux du monde, mais bien réel pour ceux qui ont le cœur éveillé. J’obéis à son Roi. Mon Roi. Non pas par crainte, mais par amour. Car « la crainte n’est pas dans l’amour ; mais l’amour parfait bannit la crainte » (1 Jean 4:18). Ce n’est plus moi qui vis, c’est une autre vie qui m’anime, une vie qui descend d’en haut, une vie que le monde ne peut donner ni comprendre.
Je promène toujours ce corps de chair et de sang, cette enveloppe fragile, ce tabernacle temporaire. C’est peut-être là le dernier lien qui me rattache à ceux qui continuent de jouer. Jouer à quoi ? À ce grand théâtre des vanités. À cette partie truquée où chacun pense pouvoir gagner ce qu’il perdra inévitablement. Ce jeu médiocre qui nous conduit tous au même lieu de silence et de poussière, mais dans des états d’âme bien différents.
Car il est écrit : « Il est réservé aux hommes de mourir une seule fois, après quoi vient le jugement » (Hébreux 9:27). Et pourtant, ils avancent, insouciants, vers la tombe, le cœur plein des mensonges qu’ils se sont vendus à eux-mêmes.
Mais il y a une différence entre savoir qu’on est en prison, et ouvrir la porte de sa cellule.

Il ne suffit pas d’avoir conscience de ses chaînes. Encore faut-il tendre la main vers Celui qui peut les briser. « Connaître la vérité, et la vérité vous rendra libres » (Jean 8:32). Mais la vérité ne s’achète pas. Elle ne se négocie pas. Elle ne s’accommode pas. Elle brûle, elle dérange, elle renverse. Elle détruit le vieil homme pour en faire naître un autre.
Sortir des petits calculs, des stratégies mesquines, des validations imbéciles, du marchandage à tous les étages — cela ne demande ni courage, ni volonté. Ce sont là les prothèses des âmes qui n’ont pas encore goûté à la confiance véritable. Le courage et la volonté sont les jambes de bois de ceux qui n’ont pas encore été saisis par une quête irrépressible de la vérité absolue. Une vérité qui consume, qui purifie, qui sanctifie.
Je n’ai aucun mérite. Je le dis avec gravité : je vis dans un monde où le mérite n’existe pas. Dans le Royaume, tout est grâce. « Sans moi, vous ne pouvez rien faire » (Jean 15:5), dit le Christ. Tout est don. Et ce don, nul ne peut le revendiquer. Il se reçoit, à genoux, dans la poussière du cœur humilié.
C’est un monde sans récompense ni sanction, car ce monde ne fonctionne pas selon les lois humaines. C’est un monde où rien ne s’oppose à l’amour, parce que l’Amour y est tout. L’Amour qui se donne sans mesure, l’Amour qui ne se lasse jamais, l’Amour qui espère envers et contre tout.
Un monde où la force naît de la douceur — comme l’a enseigné saint François de Sales, « rien n’est fort que la douceur ». Un monde où la vulnérabilité devient un bouclier, et où la pauvreté est un glaive. Non pas la pauvreté subie, mais celle choisie, celle du cœur qui a tout abandonné pour Tout recevoir.
C’est un monde sans peur, sans tristesse, car la joie y est parfaite. Une joie qui n’a pas besoin de raisons pour exister. Une joie qui naît d’une Présence. Celle de l’Emmanuel, « Dieu avec nous ».
Ce que j’ai trouvé, ce n’est pas un concept. C’est une Personne.
Je L’ai trouvé dans les Écritures, dans les sacrements, dans le silence de l’adoration, dans les larmes d’un repentir sincère. Je L’ai trouvé vivant, brûlant d’un amour jaloux, exigeant, mais infiniment miséricordieux. Il m’a aimé le premier. Avant mes conversions, avant mes élans, avant mes retours. Il m’attendait.
Le Concile Vatican I l’a proclamé solennellement : « Si quelqu’un dit que la lumière naturelle de la raison humaine ne peut, par les choses créées, atteindre avec certitude la connaissance de Dieu, qu’il soit anathème » (Dei Filius, ch. 2). Car tout parle de Lui : la beauté, l’ordre, le mystère de la vie, le désir de justice, le cri de l’âme qui cherche à aimer et être aimée. Tout est signe. Tout est appel.
Et pourtant, Il s’est abaissé. Il est descendu jusqu’à nous. Jusqu’à la Croix. Mystère insondable. Folie pour le monde. Mais sagesse éternelle pour ceux qui croient.
Je ne veux plus rien posséder. Je veux être possédé par la vérité.
Ce que le monde appelle perte, je l’appelle gain. Ce qu’il nomme faiblesse, je l’appelle puissance. Car « quand je suis faible, c’est alors que je suis fort » (2 Corinthiens 12:10).
J’ai renoncé à l’illusion du mérite, aux honneurs vides, aux compétitions stériles. J’ai renoncé au jeu. Et dans ce renoncement, j’ai trouvé la liberté. Une liberté qui n’est pas faire ce que je veux, mais faire ce que je dois, par amour.
Ce texte n’est pas une morale. C’est un témoignage.
Je n’enseigne rien. Je partage une mue, un exode intérieur. Une résurrection commencée. Une vie nouvelle. Et s’il reste en moi des ténèbres, elles sont traversées par une lumière qui ne s’éteint pas.
« L’homme ne peut se comprendre pleinement que par le Christ. » (Gaudium et Spes, §22)
Alors, à toi qui lis ceci, je ne te juge pas. Je t’invite. Non pas à sortir du monde, mais à entrer dans le Royaume. Il ne s’agit pas d’une fuite, mais d’un éveil. Pas d’un mépris, mais d’un retournement.
Car « là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » (Matthieu 6:21).